Ahrend et l’Orgue des Jésuites

 

Considérations sur l’orgue de Porrentruy – sous la plume de Jürgen Ahrend

Le souhait exprimé par les responsables locaux, ainsi que les décorations élégantes de l’église des Jésuites m’ont suggéré le choix d’un buffet historique d’abord, celui d’un modèle de Gottfried Silbermann ensuite. Le fait que, jusqu’alors, aucun facteur d’orgue n’avait tenté une copie intégrale de ces belles façades constituait une incitation de taille. De réaliser l’ensemble de l’oeuvre « à la façon de Gottfried Silbermann » allait être le but de mes recherches et de mes efforts.

Pour le connaisseur, l’orgue Silbermann représente depuis ses origines dans la première moitié du XVIIIe siècle un instrument d’un qualité exceptionnelle que l’amateur découvre à commencer par le buffet et à travers les différentes parties, jusqu’aux soufflets placés dans la tour ou sous la toiture. Pour l’organiste, c’est l’assurance d’une manipulation simple et d’une disposition naturelle des tirants de registre. Autre souci de ce grand artisan: se limiter en toutes choses à l’essentiel. L’étendue du pédalier, par exemple, ne dépassera jamais c’, soit 2 sommiers de 12 notes.

L’auditeur, quant à lui, admire tout particulièrement la qualité du son: beauté des principaux d’étain, transparence des plena , clarté des flûtes et fermeté des basses n’en sont que quelques aspects.
En comparaison avec l’orgue d’Allemagne du Nord, il convient de signaler quelques différences marquantes: alors que Arp Schnitger multiplie les buffets, souvent de taille modeste, Silbermann enfermera l’ensemble de la tuyauterie dans une vaste caisse unique; jamais de positif de dos, rare recours aux tourelles de pédale incitant à multiplier les jeux de solo.
La disposition des basses au fond du buffet conduit à une présence ample et équilibrée de ce fondement de l’édifice sonore.

Silbermann substitue aux nombreux jeux d’anches des maîtres du Nord un dosage savant et sans failles des mutations simples. Dernière particularité d’importance: cette ressource unique d’utiliser les pleins-jeux pour la restitution d’une polyphonie d’orgue, telle qu’elle se rencontre à travers l’oeuvre de Bach, par exemple.

Jürgen Ahrend, 1985

 

Jürgen Ahrend est né en 1930, a fait ses études à Göttingen, accompli un apprentissage de facteur d’orgues chez Paul Ott. Ahrend dirige depuis 30 ans son atelier de dimensions artisanales à Leer-Loga (RFA) Frise orientale.
Quelques réalisations d’Ahrend : Innsbruck, Groningen, Norden…(orgues historiques restaurées), Berkeley, Melbourne, Eugene, Toulouse, Porrentruy…(orgues neufs).
« Il me semble que le niveau général de la facture d’orgues du 20e siècle est bas. Probablement pour des raisons culturelles. A cause du déclin et de la marginalisation de l’artisanat. Et parce que des normes de principes (par ailleurs sans cesse reconsidérées) ont souvent le pas sur les normes d’esthétique.
Je pense que Jürgen Ahrend est le meilleur facteur d’orgues vivant. Et j’admire que pour tenter, je crois, d’élever encore son niveau il se soit aligné sur la discipline d’un de ses collègues d’autrefois.
J’admire que Paul Flückiger ait compris que le plus beau ne pouvait être fait que par le meilleur. Et pour qu’il le soit il fallait lui donner l’opportunité de créer librement. Pour qu’il puisse être musique, un orgue doit être lui-même une oeuvre d’art. La création d’un artiste.
Nos pays de l’Ouest bénéficient désormais d’un instrument qui va favoriser la compréhension d’une part importante de la musique.
En moi cet orgue a déjà changé quelque chose. Je crois que c’est et que ce sera le cas de tous ceux qui s’en approcheront pour le jouer et pour l’entendre. »

Jean Jaquenod, le 28 avril 1985