Introduction

Le grand orgue Jürgen Ahrend de l’ancienne Eglise du Collège des Jésuites à Porrentruy

Beaucoup de lecteurs de cette page, assurément, se rappelleront l’ancienne salle des jésuites, où ils ont fait de la gymnastique. Dans les années soixante, les pouvoirs publics ont entrepris de restaurer avec soin toute l’ancienne église et l’on a rétabli la grande tribune sur toute la largeur disponible au-dessus de l’entrée, côté nord. On redécouvrit alors la grande beauté de l’édifice. Il fut affecté aux besoins de l’école sous l’appellation d’aula, celle-ci étant réservée aussi au bon déroulement de manifestations extra-scolaires. Un peu plus de 10 ans après, un Comité d’initiative privé, se proposait d’installer sur ladite tribune un grand orgue qui fût exemplaire par sa qualité. Un travail considérable attendait le trio : Paul Flückiger, président, André Marmy, trésorier, Georges Farine, secrétaire, tous à Porrentruy. Il s’agissait en particulier de réunir à la faveur d’un appel largement diffusé un montant qui équivalait à celui d’une belle maison. Que l’on sache, en bref, que la campagne financière, rapidement conclue, enregistrait les versements de près de 2000 personnes et institutions dans le Jura et en Suisse à l’époque privilégiée de la création du 23ème canton.

Le facteur d’orgue Jürgen Ahrend avait été recommandé sans réserve par les meilleurs organistes. Il méritait ipso facto d’avoir carte blanche. Il proposa alors un seul et magnifique projet, une copie de l’orgue de Glauchau, instrument qu’il a réalisé à la perfection, dans une qualité sonore exemplaire, grâce à son très grand talent; il a été inauguré en grande cérémonie samedi 25 mai 1985. L’orgue fut remis, en cette circonstance, à l’Etat jurassien et au Lycée cantonal, avec pour seule charge de le maintenir au nombre des beaux objets du patrimoine, sans jamais le modifier. Le renom d’Ahrend est tel que l’orgue était célèbre dès le premier jour. Les visiteurs, jeunes organistes ou professeurs connus, concertistes ne cessent de prendre rendez-vous. Le Comité fondateur gère le suivi, comme on dit, en pleine collaboration avec l’autorité. Il s’agit avant tout d’accueil et de l’organisation de manifestations plus importantes.

Il ne devrait pas être inintéressant pour le lecteur de savoir qu’il suscite la curiosité ou la passion de nos visiteurs.

C’est d’abord que cet orgue, dont l’histoire est récente en notre ville, plonge ses racines en Thuringe, le pays de Bach, en plein 18ème siècle, Il est en effet une copie – jamais un organier n’avait réalisé une copie – d’un instrument, celui de Glauchau, édifié en 1730 par Gottfried Silbermann, un maître de ce temps-là dont J.-S. Bach en personne venait inaugurer les créations. Le maître d’aujourd’hui a eu l’audace de copier ! On doit savoir que l’art de l’Allemagne centrale étant à son apogée, le modèle à imiter devenait exemplaire.

En outre, Ahrend, artisan-artiste, n’utilise que des matériaux nobles : bois, étain… Leur emploi, leur application, leur dosage répondent à des connaissances élaborées tenues pour idéales et transmises à travers les siècles. Il faut tenir compte des lois de l’acoustique dont il convient d’avoir une perception fine. Toutes ces bonnes notions étaient tombées dans l’oubli et même le mépris, jusqu’à ce qu’on s’avise, au milieu de ce siècle, qu’en matière d’orgue seul le passé pouvait tout nous apprendre.

Jürgen Ahrend crée avec une maîtrise qui force l’admiration. Il a laissé des  » enfants  » dans le monde entier (une cinquantaine dont un tiers d’orgues historiques restaurés parmi les plus fameux). Il a laissé à Porrentruy une oeuvre qu’il affectionne. Ici, pour beaucoup de musiciens, c’est aussi le coup de foudre. Le métier accompli de Jürgen Ahrend peut se résumer en quelques mots : grande qualité de la mécanique contribuant à une singulière finesse du toucher, puis, beauté de l’harmonisation. En témoignent d’ailleurs les innombrables remarques de visiteurs qu’ils tiennent à apposer dans le livre d’or. Qui vient à Porrentruy ? des organistes, des organistes… Ils désirent jouer un moment ou aussi travailler et préparer un programme. Des dizaines de professeurs de Conservatoire (Bâle, de façon suivie) ont, chez nous, conseillé leurs étudiants. Des concertistes ont reçu l’autorisation d’enregistrer un disque. Il existe à ce jour plusieurs disques compacts. Des chercheurs étudient la registration, comparent les timbres. Chaque été se déroule la grande Académie dirigée par Michael Radulescu de Vienne, consacrée à Bach (orgue et 2 cantates puisées dans l’immense répertoire). Tous les concerts sont annoncés durant cette période et le public est invité. Un fantastique foisonnement de vie musicale jaillit et déborde le soir en ville se prolongeant en discussions dans les quatre langues du cours.

Paul Flückiger