Porrentruy, Eglise des Jésuites
Dimanche 26 janvier 2020, 17h

Entrée et CD : 30 CHF / Entrée sans CD : 20 CHF (CD disponible également sur commande par courriel à t.baroques(a)gmail.com)

 

Gabriel Wolfer, orgue,

Ludivine Daucourt, chant *

À l’occasion de la sortie de son disque dédié à J.S.Bach et à l’école allemande,  Gabriel Wolfer, conservateur de l’instrument, jouera le programme enregistré à l’orgue Ahrend.

* hors CD

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Fantasia et Fuga in g moll BWV 542
«An Wasserflüssen Babylon» BWV 653

Dietrich Buxtehude (1637-1707)
Klaglied *

Johann Jakob Froberger (1616 – 1667)
Lamento sopra la dolorosa perdita di Ferdinando IV, Ré di Romani

Dietrich Buxtehude
Toccata in d BuxWV 155

Heinrich Schütz (1585-1672)
O Jesu, nomen dulce *

Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621)
Da pacem Domine, in diebus nostris

Johann Sebastian Bach
« Jesus Christus unser Heiland » BWV 665
Sonata IV in e moll BWV 528
Adagio, Vivace – Andante – Un poco allegro

Dietrich Buxtehude
Passacaglia BuxWV 161

Samuel Scheidt (1587-1654)
« Magnificat noni toni », avec versets chantés

Heinrich Schütz
Bringt her dem Herren *

Johann Sebastian Bach
Praeludium et Fuga in C BWV 566a

 

 

 

A propos du programme

Les œuvres de cet enregistrement sont pensées à la manière d’un programme de récital. Elles s’enchaînent en fonction des affects et des tonalités. La force du discours musical, son intemporalité et son universalité en sont l’idée maîtresse.

Les Fantaisie et Fugue en sol mineur BWV 542 proviennent de deux sources totalement indépendantes. La Fantaisie est une pièce à cinq parties, à l’instar de la toccata italienne : trois parties en stylus phantasicus à la manière nordique, dramatiques, entrecoupées de deux sections d’une grande tranquillité en arioso à trois voix en triple contrepoint. Les tensions harmoniques extrêmes, les chromatismes, les chutes et exclamations angoissantes, caractérisent ce chef-d’œuvre à l’architecture impressionnante qui semble bien avoir été écrit pour une circonstance douloureuse.

Le plan démontre de nombreuses relations numériques entre les diverses parties :

  1. a) 8 m b) 5 m     c) 11 m (= 5 + 6)               d) 6 m   e) 19 m (= 8 + 11)

Le thème de la Fugue provient d’une chanson flamande très connue en Allemagne du Nord, que Bach aurait utilisé lors de son voyage à Hambourg pour obtenir le poste de l’église St-Jacques. Il avait alors effectué une longue improvisation devant Johann Adam Reinken, organiste à Ste Catherine de Hambourg et élève de Sweelinck. La fugue est construite selon la tradition nordique, avec un sujet et deux contre-sujets qui s’apparentent aux cantus firmus du « Kyrie » luthérien et du choral « Auf meinen lieben Gott ». Les cinq parties exposent le thème respectivement 4 – 3 – 4 – 3 – 4 fois. Ces expositions sont entrecoupées d’interludes de plus en plus longs.

 

Toujours lors de son voyage à Hambourg, Bach avait impressionné Reinken par son improvisation sur le choral An Wasserflüssen Babylon (Psaume 137 : « Sur les bords des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions »). Le choral BWV 653, issu du recueil des 18 chorals dits « de Leipzig », est une grande lamentation dont le rythme pointé, omniprésent, figure les sanglots du peuple juif en captivité à Babylone. Le cantus firmus est au ténor et comprend 137 + 1 notes. Le psaume 138 exprime la louange après la souffrance. Deux détails ne devraient pas nous échapper : tout d’abord, la seule fausse relation du choral, à la mesure 67 (si bémol contre si bécarre), correspond au mot « humilié » du texte ; ensuite, le motif des quatre premières notes de la seconde phrase du choral qui est repris 14 fois dans toute l’œuvre. Quatorze correspond bien sûr aux quatre lettres de BACH (2 + 1 + 3 + 8) mais aussi, selon l’évangéliste Marc, aux 14 générations qui séparent Abraham de David, ainsi qu’aux 14 que l’on compte entre David et la captivité à Babylon et enfin aux 14 qui s’étendent entre Babylon et Jésus. D’ailleurs, le quatorzième motif est exposé dans les dernières mesures, en double-pédale. Difficile de ne pas y voir une allusion à la descente du Christ sur la Terre, alors que le ténor effectue une catabase à cet endroit.

 

Parmi les allemandes en style luthé de Froberger, celle de la Suite xii en ut majeur, porte le titre : Lamento sopra la dolorosa perdità della Real Mstà di Ferdinando IV. La mort de son protecteur et ami consterne Froberger qui compose à cette occasion pour le clavecin une remarquable lamentation à la mémoire du défunt.  L’œuvre s’achève par une longue gamme ascendante figurant la montée au ciel de l’âme du roi défunt. Froberger a parcouru presque toute l’Europe et était admiré pour sa vaste connaissance des différents styles et sa capacité à les réunir. Il a terminé sa vie au service de la princesse Sybille au château de Héricourt, près de Montbéliard.

 

Buxtehude avait lui-même une grande admiration pour Froberger grâce auquel il a notamment assimilé le style italien. Il a mené le stylus phantasticus à son apogée, style qui aura une grande influence sur le jeune Bach. La Toccata en ré mineur BuxWV 155 est un polyptique de ce genre en cinq parties. Elle compte parmi les chefs-d’œuvre de la musique d’orgue du compositeur et est basée sur les parties du discours musical suivant le plan rhétorique :

Exordium et Narratio (annonce et exposition du discours) : toccata libre se terminant sur une petite fugue

Propositio (discours proprement dit) : première fugue

Confutatio (objection au discours) : récitatif à l’italienne

Confirmatio (renforcement du discours) : seconde fugue, dont le thème est très apparenté à la première

Peroratio (conclusion du discours) : toccata finale

 

Le lien entre Buxtehude et Sweelinck, considéré comme le père de l’école allemande, est fort. L’œuvre d’orgue de Sweelinck sert avant tout la fantaisie, le ricercare et les variations sur des chansons populaires, mais aussi sur des chorals. Les quatre variations sur Da pacem Domine in diebus nostris font entendre le thème en valeurs longues. Il entre tout d’abord au soprano, dans une première variation à deux voix, avant de passer à trois voix au ténor pour terminer à quatre voix à l’alto puis à la basse. Notons que les variations se succèdent sans pause ce qui prouve qu’elles ne sont pas destinées à alterner avec le chant. Ceci s’explique probablement par le fait qu’à l’époque de Sweelinck, Amsterdam avait adopté la doctrine calviniste et que, par conséquent, l’orgue ne jouait pas lors des offices.

 

Le choral Jesus Christus unser Heiland BWV 665 est également tiré du recueil des 18 chorals de Leipzig. C’est un grand choral destiné à la communion. Sa forme instrumentale se base sur la technique du motet : chacune des cinq phrases du cantus firmus est exposée quatre fois, d’abord aux voix médianes, puis à la pédale et ensuite au soprano, ce qui donne la figure de la croix (chiasme). Les contre-sujets citent souvent le contenu du cantus firmus. Ce choral exprime de façon magistrale la théologie luthérienne basée sur la contemplation et la compassion. Le texte de chacune des phrases du cantus firmus est illustré par des figures rhétoriques qu’il est difficile de résumer brièvement. Bach utilise, par exemple, la figura paresia (chromatismes et sauts dissonants) pour commenter la troisième phrase du cantus firmus qui parle de la souffrance amère du Christ. Les harmonies terribles qui en découlent atteignent d’ailleurs leur point le plus tendu à la mesure 37 qui correspond à JCHR grec (9 + 3 + 8 + 17). Ce choral de communion, véritable fête chez les luthériens, s’avère être une leçon de catéchisme.

 

Bach a écrit ses six sonates en trio pour son fils Wilhem Friedrich, afin de parfaire sa formation à l’orgue. Bien qu’elles aient probablement été jouées au double clavicorde à pédalier, instrument que possédait la famille Bach, ces sonates occupent une place de choix dans le répertoire d’orgue. Le 1er mouvement de la Sonata IV BWV 528 reprend l’ouverture de la Cantate 76 « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes ». Ce mouvement est introduit par un adagio cantabile qui débouche sur un vivace en fugato exprimant la gloire de Dieu.  Le 2ème mouvement est tiré d’un trio en ré mineur. Il s’en dégage une atmosphère de pure sérénité, sans recherche de proportion ni de plan défini, d’une extrême beauté et d’une grande richesse rythmique. Le troisième mouvement, à caractère de menuet, fait intervenir canons et mouvements dansants.

 

Expression de l’organisation du temps et de l’univers, l’ostinato est très cher à Buxtehude et apparaît très régulièrement dans toute son œuvre. Il faut relever que l’un des pôles d’attraction de Lubeck était la fameuse horloge astronomique installée à l’église Ste-Marie devant laquelle Buxtehude passait quotidiennement. La passacaille ou chaconne est donc une caractéristique de l’art de Buxtehude. La Ciacona en mi mineur BuxWV 161 est bâtie sur le tétracorde descendant mi-ré-do-si. L’œuvre est en trois parties et compte 31 variations : 15 + 8 + 8. Dans la section A, l’ostinato est à la basse. Il passe au ténor en B pour retourner à la basse en C. Il est transformé dans ces deux parties. Les variations sont groupées par paires dans A et surtout dans B, tandis qu’elles s’individualisent dans C avec une imagination bouillonnante. Broderies, chromatismes et imitations caractérisent l’œuvre entière.

 

L’activité musicale de Scheidt se développa à Halle. Scheidt, selon le modèle hérité de Sweelinck qui fut son maître, écrit des versets élaborés sur des chorals ou sur des hymnes latines. Mais, cette fois, elles sont destinées au culte, avec la pratique de l’alternatim, à l’instar du Magnificat noni toni, dans lequel le cantus firmus apparaît en valeurs longues dans chaque variation à deux, trois ou quatre voix. Seule la première variation, en fugue à quatre voix sur le cantus firmus, échappe à cette règle.

 

Écrit dans le stylus phantasticus le Prélude et Fugue en Do BWV 566a, appelé aussi Toccata dans certaines copies, illustre parfaitement l’influence exercée par Buxtehude sur le jeune Bach. L’œuvre comprend cinq parties (prélude en forme de toccata, fugue 1, récit à l’italienne, fugue 2 et final) et reprend exactement le plan rhétorique de la Toccata en ré mineur BuxWV 155. A l’origine en Mi, l’œuvre a été transcrite en Do certainement pour un orgue dont le tempérament ne permettait pas cette tonalité, ce qui n’est pas le cas de l’orgue Ahrend de Porrentruy. Cependant, dans l’acoustique de l’église des Jésuites, Do majeur sonne de façon extraordinaire.

 

Novembre 2019, Gabriel Wolfer